Par Genevieve Jurgensen,fondatrice de la Ligue contre la violence routière :
(article originellement publié sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/securite-routiere-imposer-une-limite-d-age-au-volant-ne-diminuerait-pas-les-accidents_1155081.html)
Il est bien rare qu’on entende parler en France d’un accident de la circulation survenu aux États-Unis. Celui qu’a provoqué mercredi à Los Angeles un vieil homme de 101 ans a toutefois traversé le continent et l’océan pour ranimer la flamme inépuisable des partisans d’une limite d’âge au permis de conduire. Et celle, non moins ardente, des militants d’une visite médicale obligatoire pour les seniors.
L’homme qui a blessé, semble-t-il lors d’une malencontreuse marche arrière, plusieurs écoliers et deux adultes a pu être pris d’un instant de confusion liée à son âge. Mais cette confusion a pu tout aussi bien être liée à l’alcool, ou à la consommation de certains médicaments peu compatibles avec la conduite d’un véhicule, ou à un incident extérieur venu le troubler pendant sa manoeuvre - ces dernières hypothèses n’ayant alors aucun lien avec ses 101 ans, mais n’ayant nullement été évoquées. Un accident dont l’auteur est très âgé semble, pour tout un chacun, devoir se passer d’enquête, car il est par définition une preuve de plus qu’on doit cesser de conduire après... Après quel âge, au fait ?
Le sur-risque est lié à l’inexpérience, qui ne se guérit qu’en conduisant
Si l’usage du volant devait être retiré aux catégories d’âge les plus accidentogènes, partout dans le monde on s’accorderait, chiffres en mains, à exclure les 18/25 ans de la circulation. Leur sur-risque est partout démontré, il est lié à l’inexpérience, qui ne se guérit qu’en conduisant. Une mesure d’exclusion serait donc d’autant plus absurde qu’elle ne ferait que déplacer le problème.
En revanche, personne nulle part, y compris dans les pays qui imposent une visite médicale, n’a pu établir de lien entre celle-ci et une amélioration de la sécurité routière. Une visite médicale, pour les seniors ou pour tout le monde, a l’apparence de la bonne idée qui tombe sous le sens. Mais en sécurité routière, les mesures prises, qui sont toujours une contrainte pour le citoyen, doivent prouver leur efficacité. À moins d’admettre, ce qui n’est pas mon cas, qu’on puisse être tributaire jusqu’à l’absurde du bon sens populaire.
Personne ne s’arcboute sur l’idée que tout le monde doit pouvoir conduire, à tout âge et jusqu’à inscrire son nom dans le Livre des records. Individuellement, des restrictions peuvent être imposées : nous disposons en France des procédures qui le permettent. Globalement, imposer une limite d’âge à l’usage du volant n’apporterait aucun progrès de sécurité routière mesurable, mais accélérerait le processus d’isolement, de dépression et de détérioration auquel sont exposées les personnes âgées, les précipitant plus tôt vers la dépendance, qui a un coût humain et un coût social dont nous devons collectivement nous prémunir. En d’autres termes, une mesure hasardeuse et inutilement discriminatoire, prise dans un domaine précis, se payerait par ceux qu’elle viserait et, au-delà, par chacun de nous d’un prix exorbitant.
La triste histoire de Los Angeles a fait parler d’elle par son caractère exceptionnel, justement. Il y aurait pourtant, si on s’intéressait sincèrement à la sécurité routière, bien des leçons à tirer de son effrayante détérioration dans ce grand pays, les USA, dont plusieurs États ont choisi de remonter la limite de vitesse autorisée, et où d’actifs lobbies de motocyclistes interdisent qu’on impose le port du casque. Sans parler de l’usage de l’alcool et de ses ravages.
Mais ceux qui relaient l’accident de Los Angeles comme ils feraient, sur quelque réseau, tourner un "lolcat", ne s’intéressent pas à la sécurité routière. Ils se hâtent de faire une généralité d’une histoire rarissime, dévoilant en cette occasion comme en tant d’autres leur angoisse de vieillir et leur incapacité à gérer l’éventualité de leur propre affaiblissement. Faisons en sorte qu’aucune mesure lourde de contraintes, vide de gratifications et porteuse d’effets secondaires néfastes ne soit prise par des législateurs qui, ils le démontrent souvent, ne sont pas mieux que d’autres prémunis contre ce genre de phobie.
Par Geneviève Jurgensen, fondatrice de la Ligue contre la violence routière.
Article originellement publié sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/securite-routiere-imposer-une-limite-d-age-au-volant-ne-diminuerait-pas-les-accidents_1155081.html
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