Depuis quelques années, le phénomène s’amplifie.
C’est un démographe qui annonce un avenir où la France « ressemblera beaucoup plus à un hospice qu’à un Gymnase Club » (1 ) !
C’est un professeur d’économie qui dépeint notre pays comme « une nation d’hypocondriaques vieillissants » (2).
C’est un philosophe qui propose d’établir une « fin de vie citoyenne » (sic) et de supprimer le droit de vote aux personnes de plus de 80 ans (3).
C’est un conseiller d’État qui présente les retraites comme une forme de don et affirme qu’il faut cesser de « donner aux retraités » (4).
C’est un économiste qui déplore que la France dépense trop pour « entretenir ses vieillards impotents » et pour le « maintien en vie de cette population du 4e âge » (5).
Ce sont des essayistes qui, de plus en plus régulièrement, opposent les « forces vives sacrifiées » aux « vieux » et aux « seniors » qui « tiennent tous les pouvoirs », « captent la richesse du pays », « ont ruiné leurs enfants » (6)...
Il semble nécessaire de rappeler, face à ces discours caricaturaux, quelques éléments de la réalité.
Dans la réalité, le chômage touche gravement les moins de 30 ans et les plus de 50 ans ; le nombre de personnes âgées pauvres augmente chaque année et, si rien n’est fait, rejoindra bientôt celui des personnes pauvres jeunes ; la majorité des retraités ne perçoivent pas de revenus du patrimoine.
Dans la réalité, vit parmi les 55-75 ans une grande partie de ceux qui, à travers les activités associatives et/ou familiales, les aides et entraides, le prendre soin..., font chaque jour le tissu social du pays.
Dans la réalité, sans les idéaux et le travail d’une grande part des « personnes âgées » d’aujourd’hui, n’aurait pas été construit, dans la France ruinée de 1945, un système social ayant permis d’assurer à tous, comme jamais auparavant dans l’histoire de notre pays, instruction, retraites, soins, etc.
Dans la réalité, « les jeunes » comme « les vieux » souffrent de tous ces discours qui caricaturent, discriminent et stigmatisent à coups de stéréotypes des individus au prétexte de leur appartenance à une « classe d’âge ».
Mais les discours âgistes sont séduisants. Ils rendent le monde tellement simple : plus de riches et de pauvres de tous âges ; plus de compétents et d’incompétents de tous âges ; plus d’imbéciles et d’intelligents de tous âges. Le temps fait désormais tout à l’affaire : il n’y a plus que des seniors aisés, profiteurs et conservateurs qui dominent un pays de jeunes dynamiques mais pauvres ; que des vieilles « forces mortes » qui sucent le sang des jeunes « forces vives ».
Il faut dire que les « seniors » et les « personnes âgées » forment de parfaits boucs émissaires. On peut tout leur reprocher. Sommes-nous incapables d’accroître l’intérêt politique et le vote des jeunes ? On se lamentera après les élections sur le poids du « vote seniors ». Sommes-nous incapables de réduire le chômage ? On l’imputera aux « seniors qui s’accrochent ». Sommes-nous incapables de financer notre système de soins ? On reprochera aux « personnes âgées dépendantes » d’être davantage malades ou handicapées que les jeunes et de « coûter cher ».
L’âgisme est dangereux. Il finit par désigner à la vindicte les plus vieux d’entre nous, accusés d’être des freins au progrès, des charges pour le pays. Des poids qu’on traîne. Des poids qui font dire qu’« il existe un excédent prévisible de personnes âgées par rapport aux capacités de financement des systèmes de protection sociale » (7). Des poids qui font souhaiter que « du point de vue de la dépense publique, il vaudrait mieux que meurent les gens qui veulent rester oisifs » (8).
Des boucs émissaires qu’on finira ainsi par juger superflus, prélude à un nouveau temps barbare, où l’adoration d’un jeune veau d’or vaudra bien le sacrifice d’un vieil homme.
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(1) Jacques Dupâquier. Discours du 8 janvier 2007 à l’Académie des sciences morales et politiques.
(2) Jean de Kervasdoué, « Une nation d’hypocondriaques vieillissants ». Le Monde, 19 décembre 2004.
(3) Yves Michaud, durant l’émission « L’Esprit public ». France Culture, 4 juin 2006.
(4) Bernard Spitz. « Du baby-boom au "papy-krach" », Le Figaro, 22 septembre 2006 ; « Une politique contre les jeunes », La Croix, 5 mars 2008.
(5) Alain Cotta, « Qui décidera de distribuer la richesse en faveur des seniors ? » In : Claude Jeandel (dir.), Vieillir au XXIe siècle. Universalis, 2004.
(6) Laurent Bouvet, Louis Chauvel, Patrick Artus...
(7) « Mondes en mouvement » Rapport annuel de l’Ifri 1987-1988.
(8) Richard Liscia. Éditorial. Le Quotidien du médecin, 30 mars 2005.