L’origine de l’affaire est malheureusement banale : Jean-Marie Le Pen, comme il le fait depuis 50 ans, réitère l’une de ces sorties - ici négationniste - dont il a le secret pour complaire ses sympathisants et faire parler de lui.
Mais voilà : il le fait dans l’enceinte du Parlement européen. Un parlement européen dont il pourrait présider la séance inaugurale de la prochaine session, en juillet prochain, en tant que doyen d’âge (tâche purement honorifique).
De nombreux députés réagissent alors, considérant qu’il n’est pas possible de laisser un député tenant ainsi des propos négationnistes présider cette séance inaugurale.
On pouvait dès lors s’attendre à ce que ces députés trouvent pour empêcher cela un moyen adapté, en lien avec la nature des propos tenus.
Ce serait sans doute ce à quoi nous aurions assisté si ces députés n’étaient pas aussi âgistes que la culture dans laquelle ils baignent, faisant désormais de l’âge avancé la cause de toutes les tares mentales ou politiques et du jeune âge la garantie d’une pensée et d’un avenir radieux.
On a pu ainsi entendre ces derniers jours :
Daniel Cohn-Bendit s’exclamant On ne veut pas des croulants et trouvant totalement "ringard" que ce soit le doyen d’âge d’une assemblée qui en préside la séance inaugurale ;
le président du groupe libéral et démocrate, Graham Watson, insistant sur l’"octognéaire raciste" ;
le président du groupe socialiste, le social-démocrate allemand Martin Schulz, insistant sur le "vieux fasciste".
Etonnantes expressions : certes, Jean-Marie Le Pen est âgé de 80 ans, mais que vient donc faire ici son âge ? Pourquoi n’entendait-on pas autrefois ces mêmes députés, ou leurs collègues, le qualifier de "quinquagénaire raciste" ou de "jeune fasciste" ? Pourquoi n’a-t-on jamais entendu aucun de ces députés qualifier Daniel Cohn-Bendit de "sexagénaire écolo" ?
Pourquoi ces "80 ans", cette "vieillesse" n’apparaissent-ils ainsi que >>reliés "fascisme", au "racisme", au "ringard" ?
Belle éruption symptomatique de l’âgisme ambiant, d’autant plus parlante que, s’il est une personne qui témoigne parfaitement n’avoir pas attendu 80 ans pour être raciste et négationniste, c’est bien Jean-Marie Le Pen.
Jean-Marie Le Pen qui offre donc un prétexte pour modifier le règlement intérieur du Parlement européen : ce ne sera plus le doyen d’âge qui ouvrira la session inaugurale. Cette expression symbolique du lien qui existait autrefois dans notre culture entre âge et expérience n’a donc désormais plus de sens.
Jeunisme oblige, Cohn-Bendit est ensuite allé jusqu’au bout de sa logique : "Nous sommes pour que ce soit la députée la plus jeune qui ouvre la session".
"On ne veut pas des croulants"...
Ironie de l’histoire : lorsqu’il hurlait ce slogan en mai 68, Daniel Cohn-Bendit visait des personnes qui avaient alors environ l’âge qu’il a aujourd’hui. Grâce à Le Pen et à ses 80 ans, il peut maintenant repousser la limite du "croulant" et se croire toujours tout jeune. Dans 20 ans, lorsqu’il se battra pour garder son mandat de député européen, il poussera sans doute vers la porte le "croulant" député centenaire du banc d’à-côté...
Ironie de l’histoire, certes, mais signe de temps et d’esprits fortement âgistes que toutes ces expressions de la bouc-émissarisation continuelle du grand-âge et des vieilles personnes.